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Entre la France et l’Allemagne, le train repart

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Nous étions en pilotage automatique depuis trop longtemps, mais à force de mettre la poussière sous le tapis, on ne s’était pas rendu compte que cette routine n’était plus adaptée à ce que nous vivions. » On se croirait chez un conseiller conjugal et, depuis trois mois, il est vrai que dirigeants français et allemands partagent ce point de vue de l’un des acteurs de la relation entre Paris et Berlin. Est-ce la crise de la soixantaine – l’âge du traité de coopération signé le 22 janvier 1963 à l’Élysée entre Charles de Gaulle et Konrad Adenauer ? Est-ce Emmanuel et Olaf qui n’ont toujours pas trouvé leurs marques ? Est-ce la nouvelle coalition en place à Berlin qui complique, ralentit et paralyse tout ? C’est évidemment un peu de tout cela. Ce dimanche matin à la Sorbonne et après-midi à l’Élysée, les protagonistes de la saga franco-allemande devront se montrer à la hauteur du pacte auquel s’engagent Emmanuel Macron et Olaf Scholz dans la tribune qu’ils signent tous les deux et que nous publions conjointement avec le Frankfurter Allgemeine Zeitung.

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Coup de poignard

Lorsque, le 20 octobre dernier, l’Élysée et la chancellerie allemande décident ensemble d’annuler le Conseil des ministres franco-allemand qui devait se tenir le 26 octobre à Fontainebleau, beaucoup se sont sentis soulagés. « Le Conseil du 26 se présentait franchement comme laborieux, avec peu de résultats et d’annonces, et cela n’aurait fait qu’agrandir le fossé qui nous séparait », confesse notre source. Le fossé ? Il est vrai qu’au-delà des sujets compliqués qui envenimaient la relation depuis le début de la guerre en Ukraine – l’énergie, la réponse industrielle face au protectionnisme américain, l’industrie de défense européenne… –, un dossier en particulier a été vécu comme un coup de poignard dans le dos à Paris.

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Dans son discours de Prague, le 29 août, le chancelier Scholz, auquel nombre d’Européens reprochaient son manque de vision et de leadership, annonce que son pays va agir sur le plan de la sécurité européenne en proposant un nouvel outil de sécurité dénommé European Sky Shield Initiative (ESSI). Il s’agit en fait d’un vaste système antimissile sur lequel travaille l’Allemagne, qui a fini par réunir 14 pays de l’Otan à ses côtés et qui bénéficierait de l’expertise d’Israël en la matière. Coup de sang à Paris, qui n’était pas dans la boucle et à qui Berlin n’a même pas proposé de participer. « La décision des Allemands sur le projet Sky Shield a mis en lumière une raison supplémentaire d’avoir une vraie discussion stratégique avec eux, dit-on à l’Élysée. Nous n’avions pas la même analyse sur la maturité de ce projet. »

Que l’Allemagne prenne une décision de ce type, seule, sur un sujet qui touche à notre dissuasion, voilà ce qui a blessé en haut lieu

Le langage est diplomatique mais l’épisode a été très mal vécu. « Sky Shield a été un vrai irritant et le reste, nous dit une source au cœur de la relation bilatérale. Que l’Allemagne prenne une décision de ce type, seule, sur un sujet qui touche à notre dissuasion dans le cadre de l’Otan et de l’Europe, voilà ce qui a blessé en haut lieu. » Même à Berlin, l’affaire a fait grincer des dents. « Sky Shield est l’exemple parfait de ce qu’il ne faut pas faire quand on cherche à prendre du leadership », admet un conseiller militaire allemand même s’il est persuadé que « le couple franco-allemand ne peut pas faire la défense européenne à lui tout seul ». Le 13 octobre, l’Allemagne a malgré tout réuni ses 14 partenaires au siège de l’Alliance atlantique pour une cérémonie de signature du projet Sky Shield. Cette semaine, des deux côtés du Rhin, on laissait entendre que rien n’était définitif, avec même l’idée émise par la chancellerie qu’il était possible « d’intégrer la France » dans le dispositif collectif.

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Tout remettre à plat

Le 26 octobre, en lieu et place du sommet franco-allemand qui devait avoir lieu en France, Emmanuel Macron et Olaf Scholz se sont retrouvés à l’Élysée. Ils ont convenu que le report du Conseil devait permettre de tout remettre à plat. À l’occasion de ce déjeuner, qui a réuni également leurs principaux conseillers sur les affaires diplomatiques et européennes, un certain nombre de sujets ont été identifiés comme prioritaires. À charge aux groupes de travail qui seront nommés de crever les abcès et de proposer des compromis sur chacun des dossiers chauds.

Sur l’industrie de défense, la pression finit par porter ses fruits. Un accord est trouvé début décembre pour faire démarrer une nouvelle phase de la conception du Scaf, le futur avion de combat européen. Sur l’énergie, un autre groupe de travail se charge spécifiquement du dossier de l’hydrogène. Les Allemands ne veulent pas entendre parler d’un hydrogène vert qui serait produit par de l’énergie nucléaire mais uniquement par des énergies renouvelables. Là aussi, les choses se débloquent progressivement. Dimanche dans la cour de l’Élysée, le plus gros électrolyseur d’Europe sera exposé : il est franco-allemand.

On a maintenant un moteur franco-allemand qui tourne à plein régime

Il faut dire qu’au sein de la coalition allemande les Verts se sentent politiquement plus proches de la philosophie européenne d’Emmanuel Macron. Même si la question du nucléaire reste très idéologique, la France dispose, avec la cheffe de la diplomatie Annalena Baerbock , d’une capacité d’écoute. Le 7 novembre, la voici qui est auditionnée à Berlin, avec la secrétaire d’État aux Affaires européennes, Laurence Boone, par une délégation franco-allemande de parlementaires. Pressée par son agenda, elle annule ses rendez-vous suivants pour continuer de répondre aux questions des élus. « Nous avons besoin de confiance mais aussi de discussions franches entre amis, leur dit-elle. On peut parfois maudire son partenaire parce qu’il n’a pas fermé le tube de dentifrice. Mais la valeur de la relation est telle qu’on a dépassé ces petits différends car le lien profond reste le plus important. » Et d’avouer : « Le Conseil du 26 octobre a été repoussé parce qu’on était en train de discuter de sujets essentiels, identitaires, que nous n’avions jusqu’à présent pas évoqués entre nous. »

Depuis le 26 octobre, cette conversation à bâtons rompus sur les sujets difficiles a été relancée. « La vérité, c’est qu’on a maintenant un moteur franco-allemand qui tourne à plein régime », nous confie l’ambassadeur de France à Berlin, François Delattre. « On discute, on s’écharpe même, mais on n’est plus comme un couple qui fait semblant », ajoute une source française familière de ces débats. La discussion est-elle devenue facile ? Non. Elle reste compliquée, mais il y a davantage de bonne volonté à décrisper les choses. « Lorsqu’on pose une question à Berlin, on a trois réponses différentes et ça n’aide pas », décrypte une source française impliquée dans la relation bilatérale. Allusion aux trois partenaires de la coalition, sociaux-démocrates, libéraux et écologistes. « Ils nous demandent parfois de faire des arbitrages entre eux à leur place », ajoute notre interlocuteur. « Le liant dans la relation franco-allemande venait plutôt de la droite, de la CDU, commente Charles Sitzenstuhl, ex-conseiller du germanophone Bruno Le Maire, qui a donc fréquenté Scholz du temps où il était aux Finances. Du côté du SPD, il n’y a rien, il nous manque des interlocuteurs. »

Reste la relation du « couple » au sommet. Emmanuel et Olaf ont fait des efforts mais ils ne se connaissent pas depuis si longtemps. « Entre chaque président et chaque chancelier, cela n’a pas été l’amour fou dès le premier jour », plaide une source française. Une lucidité qui semble contourner l’idée même de couple. Trop romantique, jugent les Allemands. Pas assez fonctionnel, reconnaissent les Français. « Nous avons des intérêts communs et il faut avancer de façon pragmatique », dit-on à l’Élysée, comme pour faire vieillir aussi cet adage un peu collant selon lequel « la France n’aime pas l’Allemagne mais la respecte alors que l’Allemagne aime la France mais ne la respecte pas ».